LE
PARISIEN 13/06/00
http://www.leparisien.fr
EDF exporte des éoliennes au Maroc Tanger DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
«LE VENT. Voilà l'ennemi. » L'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, dans «
Jour de silence à Tanger », se révolte ainsi contre la fureur permanente du
dieu Eole sur cette côte du détroit de Gibraltar. L'une des plus
régulièrement venteuses de la Méditerranée, et même, avec une moyenne
supérieure à 9,5 m/s pendant deux cents jours par an, bien plus ventée que
n'importe quel site européen.
10 % de la production d'électricité en 2010
C'est donc ici que le gouvernement marocain a décidé de construire le
premier parc éolien du pays avec l'aide d'EDF. En attendant l'implantation
de trois autres sites dans un programme éolien total de 200 mégawatts d'ici
à 2005, soit le quart d'une petite tranche de centrale nucléaire. Le Maroc
compte même produire jusqu'à 10 % de sa production totale d'électricité en
2010, lorsque le programme français atteindra à peine 3 % (voir encadré).
Le chantier, qui touche à sa fin, a débuté en juin 1999. Entièrement
réalisé et financé, à hauteur de 330 millions de francs, par la Compagnie
éolienne du détroit (EDF 49%, Paribas 36 % et le cabinet Germa promoteur du
site 15 %) qui a obtenu un bail de dix neuf ans pour vendre son énergie à
l'Office national d'électricité marocain, qui se verra rétrocéder le parc
en 2020. A partir du couplage au réseau, le 15 août prochain, les « moulins
de Koudia al-Baïda », la « colline blanche », fourniront 50 MW/h.
L'équivalent de la consommation d'une ville de 400 000 habitants comme
Tétouan, à 20 km de là. La consommation, précisons-le, d'un pays pauvre 3
500 MW/h pour 29 millions d'habitants , c'est 13 fois moins que les
Français qui jouissent de 100 000 MW/h. Sur une crête de plus de 10 km, 84
pylônes ont été disposés. Hauts de 50 mètres, ils portent à leur sommet un
aérogénérateur de 600 kilowatts, l'un des plus gros du marché, construit
par le leader mondial, le danois Vestas, des machines actionnées par
d'immenses hélices tripales de 9 tonnes et de 44 mètres d'envergure, dont
la vitesse et l'orientation sont régulées par un anémomètre et une
girouette. Chacune de ces éoliennes est ainsi indépendante et se cale selon
le vent, vers l'ouest et l'Atlantique ou vers l'est, d'où vient le chergui,
le terrible vent chaud du désert. Mais elles peuvent résister à des
tempêtes jusqu'à 270 km/h, encore jamais vues dans cette région. « Grâce au
gisement de vent, c'est actuellement le site le plus rentable »,
s'accordent à dire les trois partenaires qui comptent réaliser 60 millions
de chiffre d'affaires par an et un retour sur investissement en cinq ans.
Décidément, pour le Maroc, et pour les entreprises françaises converties à
son utilisation, le vent est bien devenu... un véritable ami.
Jean Darriulat
Des sites peu rentables en France
«TOUS LES SITES éoliens ne seront pas rentables en France, car c'est la
force et la régularité du vent qui déterminent leur compétitivité. »
Délégué général d'EDF au Maroc, Henry Boyé est coresponsable de la
construction du site de Koudia al-Baïda. Entre une moyenne de vent à 7 m/s,
comme sur la plupart des sites français, et celle de 9 m/s sur le détroit
de Gibraltar, la différence de puissance va presque du simple au double.
Conclusion : le kilowattheure de Koudia sera à peu près compétitif dans
cinq ans, autour de 20 centimes, lorsque les éoliennes seront amorties.
« C'est un choix politique et non économique »
A contrario, la plupart des sites français ne pourront pas l'être et
devront être largement subventionnés, « un choix politique, et non
économique, précise Henry Boyé, lorsqu'on veut favoriser l'éclosion des
énergies nouvelles ». Ingénieur éolien qui aura conçu et installé avant
2001 quelque dix-sept parcs en France pour un total de 100 MW (30 % du
marché), également promoteur et concepteur du site marocain, Jean-Michel
Germa n'est pas d'accord avec cette comparaison des coûts du kWh. « Les
coûts d'installation et de maintenance des centrales, celui de la
construction des grands réseaux de transport sont sans commune mesure avec
l'éolien. Sans oublier que, si le coût du démantèlement des installations
nucléaires est déjà facturé aux clients d'EDF, elle ne provisionne toujours
pas celui du retraitement des déchets ultimes, beaucoup plus longs et
coûteux à éliminer. »
J.D.